Centre de santé pour Le Havre et +

Rencontre entre élus locaux, l’association CSPLH+ et le président de la Fabrique des Centres de santé

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Le 7 février 2023, l’association CSPLH+ a organisé une rencontre entre les élus locaux de la communauté urbaine du Havre, ses membres et le Dr Richard Lopez, président de la Fabrique des Centres de santé.

Cette rencontre a été rendue possible grâce au soutien de la Maire et des services de la Ville d’Harfleur qui nous ont permis d’utiliser le centre culturel La Forge.

Madame la maire d’Harfleur, retenue par d’autres obligations, nous a transmis un message, lu par la Maire adjointe déléguée à la santé. La municipalité a une forte préoccupation pour les questions de santé et s’efforce de développer les services permettant aux habitants de bénéficier de conditions de vie saines. En lien avec la Communauté Urbaine, elle encourage toutes les formes de prévention (sport, accompagnement des plus fragiles, dispositifs d’amélioration des habitudes alimentaires), dans une situation où l’on constate en outre une augmentation des risques psychologiques et psychiatriques.

Le président de l’association a ensuite présenté l’objectif de la réunion et laissé la parole au Dr Lopez, pour un exposé qui a vivement intéressé l’auditoire et précédé un temps d’échanges avec la salle, répondant aux questions et préoccupations qui se sont exprimées.

Le Dr Lopez a expliqué le rôle de la Fabrique des Centres de santé, qui accompagne les porteurs de projet, très majoritairement des collectivités locales : comment celles-ci peuvent-elles prendre en compte le manque de médecins sur leur territoire ?

Pour éclairer la situation actuelle, il a d’abord procédé à un rappel historique imposant la prépondérance du modèle libéral

Depuis la tentative de mettre en place des lois sociale au lendemain de la première guerre mondiale, jusqu’à la création de la Sécurité sociale au lendemain de la seconde, les gouvernements se heurtent à l’opposition des médecins qui définissent en 1927 la charte qui pose les principes de la médecine libérale -liberté de prescription, de tarification- paiement direct par le patient, qui ont été gravés dans la loi.

Malgré l’unanimité du projet porté par le Conseil National de la Résistance qui élabore « les jours heureux », un programme complet de protection sociale,  ce n’est qu’en 1971 que la première convention nationale est signée avec leurs organisations professionnelles, au prix de larges concessions à leurs exigences. Elles ont obtenu que le principe de la liberté d’installation soit introduit dans la loi en échange de l’acceptation d’un tarif national de consultation décidé avec l’Assurance maladie.

Un autre modèle, celui des dispensaires -ancêtres des centres de santé- s’était développé à la fin du XIXème siècle dans les territoire ouvriers et populaires notamment les bassins miniers, parmi d’autres services destinés à attirer et fidéliser une main d’œuvre qualifiée. La première convention nationale stipulait donc que l’Assurance Maladie ne devait plus soutenir financièrement ces centres de santé qui échappaient au contrôle syndical libéral.

On retrouve-là une grande interrogation : le système de soins doit-il être l’affaire des professionnels -et pensé en fonction de leurs intérêts- ou celle de la population et de leurs élus ? Deux conceptions de la médecine s’affrontent, une médecine individuelle répondant à un projet professionnel, et une médecine sociale ou sociétale, pratiquée en équipe et répondant aux besoins d’une population sur un territoire.

Le  modèle libéral n’est pas adapté à l’évolution des pathologies actuelles

Les progrès de la médecine ont permis un recul de la mortalité augmentant mécaniquement le poids des pathologies chroniques liées au vieillissement de la population. Les malades chroniques qui ne représentent que 20% de la patientèle des médecins occupent 80% de leur temps professionnel. 

Or ces patients, souvent âgés, avec une pathologie qu’on ne sait pas guérir doivent pouvoir vivre vieux dans les meilleures conditions de vie . La réponse à apporter ne relève pas du seul médecin isolé dans son cabinet ; elle doit reposer sur une équipe pluri-professionnelle coordonnée. Les temps de concertation entre les membres de l’équipe, essentiels pour l’amélioration des prises en charge des patients, ne sont pas rémunérés dans le cadre du paiement à l’acte, pilier de la médecine libérale. La nécessité de faire évoluer les pratiques ont conduit à l’élaboration en 2008 du concept de « Maisons de santé pluri professionnelles», libérales, qui doivent mettre en place une coordination des soignants ; mais le modèle est toujours celui de l’auto-entreprenariat de structures individuelles.

En revanche, les centres de santé qui existent depuis plus de 150 ans ont toujours eu un mode de fonctionnement en équipe, avec un dossier médical commun, adapté à la prise en charge des malades chroniques.

Le modèle libéral ne répond pas à l’attente des jeunes médecins

 De nombreux rapports ont mis en évidence que les jeunes médecins, et en particulier les femmes, n’étaient globalement plus attirés par l’installation en cabinet libéral. Or elles représentent actuellement 65% des effectifs sortant des facultés de médecine.

Le statut libéral ne permet pas de disposer d’une protection sociale adapté aux besoins actuels, ne facilitant pas autant que nécessaire l’interruption d’activité financée en cas de maladie ou de maternité. Le taux de remplacement de la retraite est faible par rapport à leur revenus antérieurs (ils ne peuvent plus compter comme autrefois sur la vente de leur patientèle !). Ils doivent assumer toutes les démarches relatives à leur statut d’entrepreneur. Par ailleurs l’installation en libéral peut entrer en conflit avec la carrière du conjoint liée à des changements d’employeurs fréquent chez les cadres et techniciens supérieurs, emplois fréquemment occupés par les conjoints des médecins.

Cinq ans après leur thèse, trois médecins sur quatre ne sont pas installés. Ils font des remplacements, exercent diverses activités, avant de faire un choix professionnel conforme à leurs attentes.

Une pénurie durable de médecins qui va s’aggraver dans les prochaines années

Sur l’ensemble de la France, le nombre absolu de médecins  diminuera jusqu’à la fin de la décennie alors que la population nationale continue de progresser. Ensuite, il faudra attendre jusqu’en 2050, si tous les étudiants deviennent effectivement des praticiens, pour retrouver le taux de médecin de 2010 ! Si aucune démarche n’est entreprise, la situation  continuera donc à se dégrader au cours des 25 prochaines années, avec de lourdes conséquences pour les populations les plus défavorisées, qui sont aussi celles qui vivent dans les zones où la densité médicale est la plus faible.

Le Centre de santé, c’est d’abord le projet politique de ses gestionnaires

En réponse aux interrogations de la salle, le Dr Lopez a précisé un certain nombre de points relatifs à la création d’un centre de santé.

Le centre de santé ce n’est pas une installation immobilière

Ce n’est pas une offre de locaux, assortie de dispositions attractives dans l’espoir qu’un ou plusieurs médecins viennent s’y installer. L’expérience a prouvé que cela ne débouchait pas sur l’installation durable de praticiens. Le centre de santé c’est d’abord le projet de ceux qui veulent le mettre en place, le plus souvent des élus locaux qui partent des besoins de leur territoire.

A cet égard, la Fabrique ne préconise pas d’emblée la construction de nouveaux locaux pour accueillir le centre de santé, mais plutôt de recourir à des locaux déjà existants mais qui ont perdu leur fonction première.

Le centre de santé c’est un projet pensé en fonction des besoins d’un territoire

Il faut d’abord évaluer la situation sanitaire du territoire, repérer où sont les difficultés. Les Quartiers Prioritaires de la Ville concentrent les difficultés de santé, liées aux conditions de vie. Au Havre, 22 000 personnes n’ont pas de médecin traitant ; ce qui nécessiterait l’activité de 15 à 20 praticiens supplémentaires à ceux existants.

Le diagnostic de territoire est l’un des pré-requis à l’installation des centres de santé : il faut les implanter en fonction des besoins des habitants, en tenant compte des questions de mobilité des patients. La situation des EHPAD ou foyers d’accueils de handicapés est à prendre en compte et doit déboucher sur une collaboration encadrée par une convention. Les personnes âgées isolées sont également une autre priorité pour le maintien à domicile qui est souhaité par la plupart d’entre elles.

Il faut se poser la question de l’accessibilité géographique mais aussi économique, avec la pratique des tiers-payants, tant pour la part assurance maladie  que pour la part mutuelle. Un recensement de tous les obstacles concrets à la prise en charge médicale doit être dressé afin de pouvoir y apporter des réponses pertinentes.

Des maires et adjoints présents dans la salle ont évoqué le cas de leurs communes excentrées face à un regroupement médical. Un pôle paramédical peut répondre, dans ces communes, á la demande de la population, mais celle-ci n’en a pas pour autant un accès suffisant au médecin généraliste. Grâce à des subventions, des permanences décentralisées de médecins ont lieu, mais elles n’apportent qu’une réponse bien en deçà des besoins au regard du nombre d’habitants.

Le Dr Lopez répond que le regroupement de médecins conduit à créer le vide autour du lieu choisi. Le fonctionnement des cabinets secondaires est très aléatoire.

Ce sont aux élus de penser le maillage territorial de santé. Il peut se réaliser grâce à un Centre de santé, avec éventuellement des antennes. La Fabrique ne recommande pas la pratique isolée : une antenne est ouverte en général 20 heures par semaine.

Par rapport aux cabinets libéraux qui dépendent du choix des praticiens de maintenir leur installation sur place, les élus sont les garants des réponses à apporter au bien-être des habitants de leurs communes et donc de la pérennité du projet.

Les moyens à mettre en œuvre

Une fois le projet déterminé, les locaux recherchés dans l’existant, les élus doivent trouver les moyens de le concrétiser.

Pour la recherche des médecins

Il faut leur offrir une rémunération suffisante. La Fabrique conseille de se référer à la grille de la Fonction publique hospitalière, plus attractive que celle de la Fonction publique territoriale ou d’Etat. Elle déconseille de proposer l’échelon le plus élevé à l’embauche, comme seraient tentés de le faire certains élus, dans l’espoir de retenir des candidats. D’une part cela pourrait compromettre à terme le modèle économique de la structure, de l’autre cela place la négociation sur le seul aspect financier et tend à reléguer au second plan la discussion sur le contenu du projet.

En effet, l’équipe médicale doit ensuite s’approprier le projet et contribuer à son évolution. La Fabrique recommande de faire coïncider la durée du projet de santé avec celui des mandats. Il est d’ailleurs souhaitable que les élus partagent également avec l’équipe professionnelle les aspects économiques du fonctionnement  du Centre de santé comme les professionnels doivent partager avec les élus les évolutions du projet de santé.

La question du financement

C’est la grande interrogation des collectivités territoriales, et en particulier celle des petites communes. Les centres de santé, avant d’être en mesure de s’auto-financer, ont besoin d’un fonds de roulement pendant une durée estimée à trois ans.

La structure gestionnaire

Plusieurs petites communes peuvent très bien s’associer pour créer un centre de santé.

Il est juridiquement possible que la Communauté urbaine porte le projet initié par de petites communes ; la question doit au moins être posée ; leurs maires ont la responsabilité de défendre leur territoire au sein du Conseil communautaire, ce qui permet d’y introduire le débat sur la politique de santé. En cas de refus, les communes concernées sont d’autant plus légitimes pour mettre en place une autre structure porteuse du projet, tel un SIVU (syndicat intercommunal à vocation unique : le CDS) ou un GIP groupement d’intérêt public qui peut regrouper des communes, des hôpitaux.

D’autres questions ont été abordées

La Sécurité sociale a commencé à mettre en place de nouveaux modes de rémunération de la pratique médicale, permettant une prise en charge forfaitaire des patients, et de dépasser les limites du paiement à l’acte.

Les infirmières en pratique avancée (IPA) peuvent assurer le suivi ordinaire des patients atteints de maladie chronique, en relation avec le médecin qui peut ainsi consacrer davantage de temps aux situations plus complexes.

En une seule après-midi, il n’était pas possible d’approfondir tous les thèmes d’un domaine aussi vaste, et ce d’autant plus que la conception d’un centre de santé ne relève pas d’un modèle unique, mais au contraire du « sur mesure », en fonction des défis de santé auxquels il faut répondre, des opportunités et des obstacles.

A travers ses explications très claires, le Dr Lopez a fait passer le message suivant : la réponse aux besoins de santé est avant tout une l’affaire d’une volonté politique, qui doit se traduire par l’élaboration d’un projet, l’identification des questions à résoudre et la recherche de solutions en adéquation avec les réalités du territoire.

L’assistance était peu nombreuse mais très motivée. Certaines communes envisagent d’ores et déjà de reprendre leur réflexion en la matière sur de nouvelles bases. Une dynamique est lancée.

L’association « Centres de Santé Pour Le Havre et plus » remercie le Dr Lopez et la Fabrique des Centres de santé pour son intervention, Mme la Maire d’Harfleur pour son accueil, M. et Mmes les élu(e)s pour leur présence et leur participation lors de ce temps d’échanges.

 

 

Date de dernière mise à jour : 25/01/2024

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