Qu'est-ce-que Sagéo ?
Notre article à l'ouverture du Centre en novembre 2020
Malgré SAGEO, la région havraise reste toujours un désert médical
Par csplhetplus 5 novembre 2020
Novembre 2020
Les articles de de la presse locale relayant l’installation de la société SAGEO dans le quartier de l’Eure au Havre, pourraient laisser entendre que les problèmes de désertification médicale de la ville seraient sinon résolus, au moins grandement améliorés. Avec une amplitude horaire allant de 8heures à 20 heures, six jours sur sept, tiers payant intégral, prises de rendez-vous facilitées, accès à la gynécologie, à l’ophtalmologie… et d’autres implantations au Havre seraient à l’étude. La société affirme sa vocation sociale : « C’est notre vocation médico-sociale que de nous installer dans des zones classées par l’ARS (agence régionale de santé) comme déserts médicaux »[i] . Sans méconnaître le bienfait immédiat apporté aux patients qui pourront bénéficier des services de ce centre médical, on peut tout de même se livrer à quelques interrogations et nuancer le tableau.
Qu’est-ce que SAGEO ?
SAGEO Le Havre est une société par actions simplifiée. Elle met en œuvre l’organisation conçue par SAGEO national et lui loue les locaux qu’elle utilise. SAGEO nationale est également une société par actions simplifiée ; les deux sociétés ont leur siège social à la même adresse à Paris.
Selon un entretien la présentation de SAGEO national par son fondateur[2], la rémunération des médecins est fixée et gérée par l’association médicale à laquelle tous les praticiens adhèrent[3]. SAGEO se défend de dépendre d’un financement extérieur, comme pourrait l’être l’aide d’une collectivité territoriale : « Souvent la variable d’ajustement, dans les maisons ou centres de santé, ce sont les loyers payés, etc. Nous ne voulions pas de cela.»[4] SAGEO revendique « un socle financier sûr ». Et le fondateur de préciser : « Sur nos quatre piliers – prévention, biologie, orphalmologie et radiologie – il fallait que nous trouvions des acteurs qui pouvaient nous accompagner à l’échelle nationale et qui pouvaient, dès lors que nous ouvrions une structure, rémunérer cette structure avec un contrat de prestation service sur un certain nombre d’années. » Autrement dit : là où les centres de santé traditionnels sont financés par la sécurité sociale, subventionné par le public (aide de l’État, des collectivités territoriales…) pour équilibrer leur budget, les centres SAGEO sont eux abondés par des prestataires de services que par ailleurs on rémunère pour leur activité !
On est légitimement fondé à s’interroger sur les motivations de ces « piliers » financeurs. Les partenaires que s’est choisi SAGEO, on trouve VIDI, qui se présente comme un réseau coopératif de centres d’imagerie médicale –les centres de radiologie du Havre en sont adhérents–. On y trouve également IDP santé, une autre société par actions simplifiée, dont l’objectif serait : « Aider les aînés à mieux vivre de façon autonome, chez eux, pour longtemps ! »[5]. Cette société est spécialisée dans l’analyse prédictive et propose, grâce à des capteurs intelligents et à un bracelet connecté en permanence, d’identifier les schémas comportementaux uniques de l’individu… pour prévenir les chutes. On est tout de même loin de la façon dont le fondateur de SAGEO présente l’activité IDP santé « Sur la prévention, nous nous sommes associés à IDP santé qui a développé entre autres l’atelier de la marche. Ils vont développer avec nous des ateliers marche, mémoire, bien se nourrir, etc. »
Le choix du partenaire de laboratoire de biologie, UNILABS, est à replacer dans le contexte de la financiarisation de cette activité, combattue par le syndicat des biologistes[6]. UNILABS est détenu en majorité par des investisseurs financiers. Les textes légaux prévoient en théorie que la majorité du capital d’une société d’exercice libéral soit détenue par des biologistes, mais des failles législatives ont permis à des investisseurs tels des fonds de pension de s’y introduire et d’y devenir majoritaires. Les groupes qui se sont les premiers engouffrés dans les brèches de la loi ont absorbé d’autres laboratoires ; on est ainsi passé de 5000 structures propriétaires en 2008 à 500 en 2018.
Cependant, trop de laboratoires de biologie restent encore aux mains de leurs professionnels libéraux, au goût de ce type de fonds spéculatifs. L’Autorité de la concurrence[7] s’est auto saisie d’office de la question et a publié un rapport. Celui-ci préconise de revoir les règles qui limitent l’accès du capital financier à la propriété des laboratoires de biologie médicale « afin de permettre au secteur de poursuivre le mouvement de concentration auquel les pouvoirs publics l’encouragent depuis près de deux décennies. ». Le rapport préconise également l’assouplissement des règles d’implantation territoriale et de permettre une concurrence par les prix entre professionnels. On peut on peut prévoir sans grand risque que ces recommandations vont bientôt se traduire en dispositions légales et ouvrir un nouveau champ à la concurrence.
On comprend mieux l’intérêt d’un groupe financier comme UNILABS de de participer au financement de structures de santé « partenaires » qui vont lui procurer une clientèle assurée. Il sera facile de convaincre les patients de ces structures d’avoir recours au laboratoire recommandé pour des raisons de facilité et de rapidité.
Ophtalmologie express est le quatrième partenaire financeur de SAGEO. Cette société a été épinglée a dans la presse pour des pratiques qui peuvent être considérées comme frauduleuses[8]: surfacturation, actes inutiles…
Des centres d’ophtalmologie aux pratiques plus que douteuses
En fait, Ophtalmologie express fait partie, tout comme SAGEO, de ces nouveaux « centres de santé » permis par l’ordonnance de janvier 2018 qui modifie les conditions d’exercice de ces structures héritières des anciens dispensaires. Elle a introduit la possibilité pour le secteur lucratif de gérer des centres de santé, sous réserve que les bénéfices ne soient pas distribués mais mis en réserve ou réinvestis. Depuis, de nombreux centres d’ophtalmologie aux pratiques douteuses sont apparus comme des champignons, mettant à profit le manque de spécialistes en la matière.
Selon le Conseil national professionnels d’ophtalmologie (CNPO), des actes peu justifiés et des facturations hautement critiquables ont été relevées par différentes sources ces derniers mois. La Caisse nationale d’assurance-maladie, alertée par la hausse vertigineuse des demandes de remboursement en provenance de ces centres, a déclenché des contrôles.
Cependant, dans un communiqué, le CNPO tient à mettre en garde contre tout « amalgame », notamment « avec les centres de santé historiques, sans but lucratif, conçus sur un modèle mutualiste et traditionnellement gérés par les collectivités et institutions territoriales« .
Un article du Parisien [9] révèle que les ophtalmologistes dans ces centres peuvent être rémunérés 1500 € par jour… bien plus que dans un cabinet libéral. Les sociétés propriétaires de ces centres souvent sans lien avec la santé : Ophtalmologie express dépend de Care Invest, spécialisé dans la location de biens immobiliers ; Alliance vision, qui a implanté un centre au Havre vient de créer une société éponyme de gestion de fonds située à la même adresse aux Champs-Élysées à Paris… Selon l’article du Parisien, «Pour « sortir » l’argent de cette fraude, plusieurs techniques sont utilisées, souvent simultanément. Selon diverses sources, cela va des locaux loués à prix d’or à une société « amie », même chose pour les appareils de contrôle, jusqu’à la facturation de pseudo-conseils en or… En apparence, tout est clean, on n’y voit que du feu. ». Dans un autre article du même quotidien[10], un médecin témoigne : «quand le centre a pris la carte Vitale des patients, il peut en faire ce qu’il veut ; nous les ophtalmologues, on ne voit rien puisque ce sont les secrétaires qui s’occupent de la facturation des actes, et les patients, qui ne paient rien, ne se doutent de rien. C’est comme ça que certains patients sont facturés pour des actes inutiles ou fictifs, parfois sur 2-3-4 jours, alors qu’ils ne sont venus qu’une fois. Si ces centres étaient parfaitement honnêtes, croyez-vous qu’ils paieraient leurs médecins 1500 euros nets par jour ? »
L’implantation de nouveaux centres de santé toujours nécessaire dans la région havraise
L’implantation de centres de santé gérés par des collectivités territoriales ou des hôpitaux, dans un esprit de service public, hors de toute préoccupation lucrative, reste toujours d’actualité dans la région havraise.
Pour l’instant, SAGEO ne prévoit au mieux que de recruter quatre médecins généralistes. C’est sans commune mesure avec les besoins de la communauté urbaine, qui ne vont faire que s’aggraver compte tenu du vieillissement des médecins actuellement en exercice.

D’après C@rtoSanté
En Normandie, plusieurs collectivités territoriales ont pris le problème en main et ont mis en place des centres de santé pour faire face aux besoins urgents de la population : la commune de Fécamp salarie ses médecins ; un centre de santé hospitalier s’est ouvert à Dieppe ; dans l’Orne un centre de santé départemental ouvre des antennes dans tout son territoire… Les formules pour la mise en place des centres de santé peuvent varier, quant à leurs gestionnaires, quant à leur périmètre (avec des antennes pour les villages ou les quartiers éloignés) ; ils peuvent ils peuvent se rapprocher pour mutualiser des services et mener des projets communs, en matière de recherche, de prévention… Les indicateurs de santé pour la région havraise sont suffisamment alarmants pour que la communauté urbaine et les communes qui la constituent se saisissent d’urgence de la question et réfléchissent à des solutions innovantes. Les citoyens doivent par ailleurs être consultés et associés à la construction de réponses à leurs besoins en matière de santé.
[1] Paris Normandie du 4 septembre 2020.
[2] https://sageo-sante.org/index.php/2020/06/22/sageo-ou-comment-organiser-un-plateau-technique-autour-dun-mg/
[3] sans plus de précisions sur la façon dont l’association médicale est elle-même financée.
[4] notons cependant qu’en s’installant en s’installant dans des zones classées par l’ARS comme déserts médicaux, SAGEO bénéficiera à ce titre des aides de la sécurité sociale et de l’État.
[5] https://www.idpsante.com/pages/services-quickfinders/commentcamarche/#analyse
[6] https://capitalfinance.lesechos.fr/analyses/dossiers/un-marche-de-lanalyse-medicale-edifie-a-coup-de-montages-complexes-1170133
[7] https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/commitments//19a08.pdf
[8] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/des-centres-ophtalmologiques-soupconnes-de-fraude-a-l-assurance-maladie_2130706.html
[9] https://www.leparisien.fr/economie/des-centres-d-ophtalmologie-soupconnes-de-fraude-a-la-secu-13-07-2020-8351889.php
[10] https://www.leparisien.fr/economie/de-vraies-arnaques-un-medecin-denonce-les-fraudes-de-centres-d-ophtalmologie-13-07-2020-8351898.php